Luxe et égéries : l'art de créer la légende

Petit détour par un secteur autre que celui du vin, du champagne et des spiritueux mais toujours dans l’univers du luxe, avec ce génial film pour l’horloger Tag Heuer : The Duel – Lewis Hamilton vs Steve McQueen. Un dialogue improbable entre deux égéries de la marque, deux personnalités dont l’une est d’ores et déjà une légende et l’autre en passe de le devenir.

Au-delà de l’idée, que je trouve brillante, de la qualité du film, que je ne me lasse pas de revoir, et de la performance technique, qui donne l’impression que McQueen et Hamilton dialoguent et courent réellement ensemble, je trouve cette publicité intéressante à plusieurs titres :

  • d’une part, car elle utilise deux icônes qui ne se sont par définition jamais cotoyées (McQueen décédé en 1980, Hamilton né en 1985) : magie de l’anachronisme, réalisation d’un fantasme avec en filigrane -et effet induit sur le spectateur- l’image d’une marque toute en cohérence et en continuité, qui glisse avec fluidité d’une époque à l’autre. Ou comment créer les conditions d’un rêve inaccessible pour les amateurs de sport automobile… et tous les autres.
  • D’autre part parce qu’elle participe d’une stratégie globale de communication orchestrée pour célébrer les 40 ans du modèle Monaco, montre Tag apparue sur le poignet de Steve McQueen dans le film Le Mans et élevée depuis au rang d’icône de la mode. La fin de cette vidéo et le résultat de la course restent ouverts, renvoyant à l’imaginaire et au désir de chacun et accessoirement au jeu concours « Who will win » proposé sur le site de la marque -voir ici. Ou comment construire la légende avec la légende.
  • Parce que c’est, à ma connaissance, la première fois qu’une marque de luxe met en avant dans une même publicité plusieurs personnalités parmi ses ambassadeurs de marque. Issus de deux époques différentes, il n’y a pas d’effet de canibalisation entre McQueen et Hamilton : ici, la magie repose sur la saine émulation d’une compétition sans enjeu de résultat et véhicule avec force des valeurs d’inspiration, d’héritage, de transmission et d’intemporalité.
  • Enfin, je trouve particulièrement pertinente la communication toute en discrétion opérée par Tag Heuer depuis quelques temps, et dont ce film est un syncrétisme d’efficacité. Je m’étais déjà fait la réflexion en lisant le numéro d’avril du magazine GQ France, qui traite de la Tag Heuer Monaco dans sa rubrique Style Saga (4 pleine pages mettant Steve McQueen à l’honneur) puis parle de la marque, plus subtilement cette fois, dans sa rubrique Sport, avec un portrait de Lewis Hamilton… interviewé lors d’un shooting pour Tag Heuer. Ou comment conter une belle histoire dont on retiendra tout en douceur qu’elle a pour origine la marque de montres suisse…

Rapporté à l’univers des vins, champagnes et spiritueux, et au-delà de toute considération de faisabilité en France vs loi Evin, je fais le constat que rares sont les marques qui utilisent ce même principe de promotion en s’appuyant sur une légende personnifiée, ou en en créant une qui reposerait sur une personnalité mythique encore vivante ou ayant existé (de fait, j’exclue James Bond pour Bollinger). Au mieux, elles le font à titre anecdotique, ou bien involontairement, sans toujours en maîtriser le discours, citant ou laissant courir la rumeur de telle personnalité qui aime ou aimait leur produit : ainsi, Ernest Hemingway appréciant tellement le vin de Château Margaux qu’il prénomma l’une de ses petites filles Margaux, orthographié de ce fait Margaux plutôt que selon le classique Margot.
Dans l’univers des spiritueux, si les grandes marques de cognac s’appuient sur des ambassadeurs représentatifs de leurs catégories de consommateurs, le plus souvent en la personne de rappeurs connus et reconnus -lire mes notes à ce sujet ici et ici, leurs objectifs sont tout autres (signe de reconnaissance sociale, appartenance à un groupe) et surtout, les personnalités choisies sont loin d’avoir à ce jour atteint le statut de mythe ou de légendes inscrites dans l’Histoire.
L’association d’une marque d’alcool avec un ambassadeur n’est pas forcément évidente, surtout pour l’égérie qui doit assumer de voir son image associée à un produit alcoolique. Mais ce choix commence à faire partie des orientations stratégiques de certaines maisons, à l’instar de ce qui se fait dans l’univers des parfums et cosmétiques : Martini et George Clooney -lire ma note à ce sujet ici– ou, tout récemment, la maison Moët & Chandon qui a choisi l’actrice Scarlett Johansson pour devenir son ambassadrice. C’est la première fois qu’une maison de Champagne s’appuie sur une actrice hollywoodienne pour incarner sa marque -lire ici ma note sur la nouvelle orientation stratégique « 7e Art » prise depuis quelques mois par la maison sparnacienne. Un choix « safe » : une actrice plutôt consensuelle, saine et sexy à la fois, sans scandale connu à ce jour.
En termes de résultat, beaucoup de buzz mais rien à voir encore avec la performance de Tag Heuer, chez qui chacun, de la marque et de la personnalité, participe à la création de la légende de l’autre.
Question budgétaire, difficulté pour les « stars » d’assumer le rôle d’ambassadeur d’une marque d’alcool, ou problématique liée à la notion d’éphémère dans un univers où les modes passent peut-être plus vite que dans celui de l’horlogerie -un champagne est destiné à être consommé, une montre à être conservée puis transmise- ? Le monde des alcool serait-il plus superficiel que celui d’autres produits de luxe ?
Si les vraies légendes sont intemporelles et ne connaissent pas de frontières, toute la difficulté réside dans la capacité d’une marque à construire son mythe dans la durée en s’appuyant sur une légende solide, ancrée dans l’imaginaire collectif, pour asseoir avec force et assurance sa notoriété, bâtir le rêve et créer l’émotion.
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