Loi Evin et créativité : "vive la prohibition" [2/2]
Loi Evin et création publicitaire, ou comment être créatif sous contrainte, voilà un sujet passionnant pour tous ceux qui sont amenés à communiquer sur un sujet encadré par une loi comme l’est, en France, le secteur des alcools avec la loi Evin.
Comme le démontre l’étude de l’agence Carré noir citée dans l’article de Stratégies ici (article de 2002 mais toujours d’actualité) et le travail mené par Pascal Beucler dans « le paradoxe de la contrainte féconde », certains annonceurs/agences ont développé, au fil des années, des campagnes de communication plus recherchées que lorsque aucune limite ne leur était imposée -tout en respectant les contraintes de la loi. Toute la difficulté résidant dans la capacité à être créatif sans franchir les limites d’une loi par définition sujette à interprétations.
Les meilleurs exemples de créativité publicitaire sous contrainte dans le domaine des alcools viennent sans conteste des brasseurs : d’une communication finalement assez basique et surtout très « cliché » autour du partage d’une bière au troquet du coin ou sur la plage, entre copains, telle qu’elle était dispensée jusqu’au début des années 1990, on est passé à une communication beaucoup plus subtile et efficace. Un exemple ci-dessous avec la marque Kronenbourg : quelques visuels montrant l’évolution des campagnes depuis les années 1980.
Un travail sous contrainte largement éprouvé dans d’autres domaines créatifs que celui de la publicité, en littérature en particulier -l’exemple le plus connu étant celui du roman La Disparition de Georges Pérec.
Concernant les alcools, la question que je me pose tient à la capacité qu’ont certains acteurs de la catégorie, comme les bières ou certains alcools forts, à proposer des campagnes de communication beaucoup plus créatives que celles des vins ou même des champagnes, comme je l’ai déjà évoqué ici -tous ces alcools étant pourtant soumis aux mêmes contraintes législatives. Ce phénomène est-il lié à une meilleure occupation du territoire de marque par les premiers ? A l’existence de marques fortes et clairement identifiées ? A la cible, plus jeune, avec une approche moins traditionnelle / traditionaliste de sa consommation d ‘alcool ? Au mode de consommation ? Aux budgets publicitaires alloués ?
Une créativité qui n’est pas sans risque, comme le prouve l’actualité récente -lire ici et ici-, mais qui, lorsqu’elle respecte les exigences de la loi et qu’elle est bien pensée, prouve qu’en matière de communication et de publicité, le travail sous contrainte peut avoir des effets bénéfiques. J’ajouterais également que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays beaucoup plus libéraux vis-à-vis de la promotion de produits alcooliques, cette créativité n’empêche pas une forme d’autocensure qui, de fait, engendre une réelle qualité de communication, s’appuyant sur des codes qui respectent le consommateur.
Cependant, la loi ne doit pas devenir censure, au risque de s’éloigner de l’objectif initial du législateur : protéger le consommateur. A ce titre, je suis d’accord pour (re)dire : vive la prohibition… mais avec modération !