La Loi Evin
Depuis sa promulgation en janvier 1991, à l’initiative du ministre de la Santé de l’époque Claude Evin, la loi Evin vise à encadrer la publicité et la communication sur l’alcool (et le tabac), et par conséquence sa consommation. Maître Olivier Poulet nous éclaire sur les caractéristiques de la loi Evin et de ses conséquences sur la communication des vins et des spiritueux. Avocat au Barreau de Rennes, il apporte aux entreprises des conseils juridiques et des réponses pour communiquer sans craindre la loi Evin.
POURRIEZ-VOUS DÉFINIR LA LOI EVIN ?
Maître Olivier Poulet : la loi Evin a été promulguée en 1991 à l’initiative de Monsieur Claude Evin, qui était alors ministre de la Santé. Cette loi vise à encadrer la publicité, la communication sur l’alcool et le tabac en France. La loi interdit complètement la publicité pour le tabac, mais elle est plus nuancée concernant l’alcool. L’objectif était de protéger les jeunes contre une consommation excessive d’alcool et de protéger les femmes enceintes.
Depuis 1991, on constate que la consommation globale d’alcool en France a baissé de 22 %. Cependant, il est difficile de dire que la loi Evin est responsable de cette diminution puisque, dans le même temps, les taxes sur les boissons alcoolisées ont augmenté de plus de 20 %. La diminution du taux d’alcool au volant a joué aussi un très grand rôle puisqu’il est passé de 0,8g/L à 0,5g/L. Il est difficile de définir ce qui est le plus responsable de la baisse de la consommation.
QUELLES SONT LES PARTICULARITÉS DE CETTE LOI ?
Maître Olivier Poulet : la loi Evin est une loi pénale : elle dit ce que nous avons le droit de faire et de ne pas faire. En revanche, contrairement aux autres lois pénales dont le principe est de dire ce qui n’est pas autorisé, la loi Evin nous dit seulement ce qu’il est possible de faire, les sujets et les supports sur lesquels nous pouvons communiquer. Par conséquent, cette particularité interdit automatiquement les supports qui n’étaient pas encore existants lors de la promulgation comme les écrans numériques dans les gares. Le problème de cette loi est que le texte est imprécis. Par exemple, la communication sur une affiche est autorisée, mais la définition d’une affiche n’est pas donnée.
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DIRECTES DE LA PROMULGATION DE CETTE LOI ?
Maître Olivier Poulet : à l’époque, les conséquences directes sont surtout économiques. De nombreux supports de presse écrite ont été mis en difficulté. Les budgets des annonceurs de marque d’alcool ont été largement revus à la baisse en raison des risques que les annonceurs pensaient courir à cause de cette loi.
La principale conséquence de cette loi est le contenu sur lequel on peut communiquer à propos d’une boisson alcoolisée : on a le droit de communiquer seulement sur des informations objectives comme son prix, sa couleur, son mode d’élaboration, son origine historique et géographique. Par exemple, il est possible de communiquer sur un vigneron qui récolte son raisin ou qui élabore son vin, cependant il est interdit de montrer un consommateur qui boit un verre de vin. Il ne faut en aucun cas mettre en avant les sensations procurées par la boisson.
La deuxième conséquence concerne les supports autorisés. Les affiche 4×3 et toute la presse écrite sont autorisées, exceptée la presse écrite pour les mineurs. Les autres supports de communication autorisés sont les documents techniques, les services de livraisons ou encore la publicité sur le lieu de vente (PLV) à destination des établissements comme les cafés, hôtels et restaurants (CHR). Depuis 2009, la loi a évolué et s’est étendue au monde du digital avec internet, les sites de vente en ligne et les réseaux sociaux, mais les règles restent les mêmes que pour les autres supports.
COMMENT UNE MARQUE PEUT-ELLE COMMUNIQUER SUR UN SUPPORT COMME LES RÉSEAUX SOCIAUX QUI ONT UNE PORTÉE INTERNATIONALE ?
Maître Olivier Poulet : deux solutions s’offrent à elle. Soit la marque créé deux comptes, un français et un international, soit elle se sert des fonctionnalités que proposent les réseaux sociaux permettant de diriger géographiquement les contenus. Cette option permet de publier du contenu sur tous les pays, y compris la France, lorsque la publication est conforme à la loi Evin et qu’elle comporte un message sanitaire. En revanche, si une marque souhaite communiquer à propos de l’organisation d’une soirée avec un ambassadeur ou une personnalité publique, elle peut diffuser son message à destination de seulement certains pays, mais pas la France qui interdit ce type de publicité.
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES SI LA LOI EVIN N’EST PAS RESPECTÉE ?
Maître Olivier Poulet : la marque reçoit une assignation en justice de la part de l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) qui s’est octroyée le rôle de gardien de la loi Evin. La conséquence de cette assignation peut être une amende pouvant aller jusqu’à 375 000 euros, mais qui en réalité n’a jamais dépassé 35 000 euros. La marque peut également verser des dommages et intérêts à l’ANPAA. Enfin, la marque doit retirer la campagne publicitaire, ce qui implique de longues procédures.
La dernière marque condamnée par le tribunal de grande instance de Paris est Grimbergen pour sa campagne « L’intensité d’une légende ». Les juges de première instance lui reprochaient de mettre en avant une ambiance qu’ils estimaient proche de l’ambiance de Game of Thrones. Cette campagne pouvait produire un réflexe de Pavlov chez les consommateurs, c’est-à-dire qu’en regardant la série Game Of Thrones, ils auraient envie de consommer une Grimbergen. Cependant, la Cour d’Appel a rejeté la condamnation de première instance par manque de preuve de l’existence de ce réflexe et a finalement jugé cette campagne licite.
En revanche, Ricard a fait l’objet d’une assignation et a été définitivement condamnée pour sa campagne « Un Ricard, des rencontres ». Avec ce slogan, la marque mettait en avant la rencontre du produit avec les différents ingrédients pour former un cocktail. Les juges ont considéré que le terme « rencontre » mettait plus en avant le caractère convivial de la consommation du Ricard. À ce titre, la convivialité ne fait pas partie des thèmes autorisés par la loi Evin.
QUELS SONT LES EFFETS BÉNÉFIQUES DE CETTE LOI ?
Maître Olivier Poulet : Charles Baudelaire disait : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ! ». En effet, sous la contrainte, l’expression publicitaire est plus riche et plus intéressante. Cette loi oblige les agences de marketing, les agences de communication, à être particulièrement inventives et créatives. Les résultats de cette contrainte sont pour moi un bénéfice important de la loi Evin.
EXISTE-T-IL D’AUTRES RÈGLES OU ENGAGEMENTS INITIÉS PAR LES MARQUES POUR PROMOUVOIR UNE CONSOMMATION RAISONNABLE D’ALCOOL ?
Maître Olivier Poulet : dans le cadre d’engagements visant à limiter la consommation excessive de boissons alcoolisées, les marques et les producteurs d’alcool ont rédigé et adhéré à un code d’autodiscipline. Le premier engagement est l’interdiction d’associer la communication sur des boissons alcoolisées avec des situations de réussite. Par exemple, il est interdit de dire que l’alcool permet de réussir intellectuellement ou sportivement. Les marques s’engagent également à ne pas dire que l’alcool a des effets bénéfiques sur la santé. Pour finir, dans cet engagement déontologique, les marques s’engagent à ne pas cibler les jeunes de moins de 18 ans dans leur communication.
Entre la loi Evin et le code d’autodiscipline auquel les marques se soumettent d’elles-mêmes, la communication autour des vins et spiritueux est extrêmement cadrée. Une raison de plus pour que les marques parviennent, chacune à leur manière, à parler de leurs produits avec créativité et justesse, dans une communication innovante qui leur ressemble.
Article tiré du podcast SOWINE Talks « La Loi Evin » par Maître Olivier Poulet