La déconsommation de vin : mythe ou réalité ?
A L’heure du dry january, la France entière semble s’être arrêté de boire de l’alcool. Le mois sans alcool est-il le symptôme d’une tendance de fond chez les Français ? Boit-on vraiment moins d’alcool, et plus particulièrement moins de vin qu’auparavant ? La déconsommation du vin : mythe ou réalité ? un décryptage par Marie Mascré.
Marie, en janvier 2020, nous avions enregistré un SOWINE Talks sur la tendance du no et du low alcohol, et tu parlais à cette occasion des changements d’habitude des consommateurs, qui s’orientaient vers des produits sans alcool ou à plus faible teneur en alcool. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je vais aller un peu plus loin aujourd’hui : on ne va pas seulement parler du no et low alcohol, mais aussi de déconsommation. Plusieurs études sorties entre l’automne 2022 et janvier 2023 montrent que les Français, mais aussi les consommateurs sur d’autres marchés ont sensiblement diminué leur consommation d’alcool, et de vin en particulier.
Selon un sondage IFOP de 2022, près d’un tiers des Français envisageait de participer au Dry January en janvier 2023. Une étude de Kantar montre que les individus entre 18 et 35 ans s’intéressent moins au vin que leurs aînés puisque leur consommation a baissé de 7 % entre 2011 et 2021, contre seulement 1 % pour les seniors. Tout cela alerte les professionnels de la filière sur les effets de la déconsommation de vin en France, pour l’avenir de la filière, l’avenir des emplois ou encore les possibles conséquences en termes d’arrachage de vignes.
Si l’on observe les chiffres de vente, la déconsommation de vin est une tendance qui s’accélère. Les ventes 2021 de vins tranquilles en grande distribution sont en diminution de 5,4 % en volume et de 1,4 % en valeur par rapport à 2020. Si on regarde le premier semestre 2022 en grande distribution, on a une diminution de 7 % en volume et de 5,6 % en valeur par rapport au premier semestre 2021. N’oublions pas que la crise du COVID est passée par là et que les différentes périodes de confinement et de fermetures, ainsi que les nouvelles habitudes qui ont été prises par les consommateurs sont également à prendre en compte par rapport à ces chiffres. Ce qui est notable en revanche, c’est que la diminution des ventes touche toutes les catégories, mais plus encore les vins rouges, les vins d’appellation et les vins bio. On y reviendra, mais cela appelle une distinction entre les baisses structurelles (rouge, AOC) et des baisses plus conjoncturelles, liées à l’inflation par exemple.
La déconsommation est-elle vraiment un phénomène nouveau ?
Non, la déconsommation de vin ce n’est pas un phénomène nouveau. On observe une diminution constante de la consommation de vin depuis les années 1960 (130L par an et par habitant en 1960, 55L en 2000, 36L en 2018)
On est vraiment passés du « vin-aliment » au « vin-plaisir ». On ne boit plus du vin tous les jours à table le midi et le soir. Inévitablement la consommation de vin de table en particulier chute, c’est un constat connu, au même titre que l’apprentissage plus tardif du vin par les consommateurs ou la fragmentation des repas et le fait qu’on prend beaucoup moins de repas en famille, ce qui crée moins d’occasion de consommer du vin. Ce sont des évolutions naturelles de la société qui ont entre autre pour conséquence que le vin est moins au centre du repas.
Si on resserre la focale jusqu’en 2021, on note, entre autres, parmi les ventes en grandes et moyennes surfaces, un redécoupage des ventes par couleur : la part des vins rouges diminue, au profit d’abord des rosés puis des vins blancs. On passe de 55 % de rouge, 17 % de blanc et 28 % de rosé en 2013 (ventes de vins tranquilles en volume) à 44 % de rouge, 21 % de blanc et 28 % de rosé en 2021
Si on entre plus dans le détail de ces données chiffrées, qu’observe-t-on ?
Ce qui est particulièrement intéressant dans ces données chiffrées c’est d’abord un désintérêt croissant des jeunes pour le vin. Les jeunes, ce sont les consommateurs de demain. Selon une étude Wine Intelligence, 47 % des vins sont consommés par des personnes de plus de 55 ans et 28 % des vins sont consommés par des personnes de moins de 40 ans. Plus on est âgé, plus on est consommateur régulier de vin et plus on est jeune, plus on diversifie sa consommation de boissons alcoolisées. A noter qu’on observe un intérêt croissant pour la bière : entre 2015 et 2021, les Français sont passés de 31 à 33L de bière consommés par personne et par an. On part de loin, puisque la France est l’un des pays de l’Union Européenne qui consomme le moins de bière par habitant (même si la France est le pays d’Europe qui compte le plus de brasseries artisanales). Quelque part, il y a une forme d’uniformisation relativement progressive, mais réelle quand même, de la consommation de boissons alcoolisées dans les pays occidentaux.
Par ailleurs, le désintérêt pour la consommation de vin ou pour la consommation d’alcool n’est pas lié à un désintérêt pour le produit : l’intérêt est toujours là. On s’intéresse au produit, on a envie de goûter des choses différentes, on a envie de continuer à découvrir, même si on consomme moins. Et, autre point intéressant, les consommateurs, et en particulier les jeunes, ont tendance à rechercher des saveurs originales ou particulières. La part de marché des bières dites de spécialité est en constante hausse depuis plusieurs années, comme celle du sans alcool.
Comment peut-on expliquer ce basculement de la demande des consommateurs vers des boissons sans alcool ou plus faiblement alcoolisées ?
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : un engouement pour des propositions nouvelles et originales, les changements sociétaux, la forte inflation qui pèse sur les ventes et qui favorise la bière car c’est un produit moins cher. Et puis, un moment de consommation du vin rouge qui est traditionnellement, encore aujourd’hui, ancré pendant le repas, et associé avec de la viande. Doit-on faire la corrélation avec la baisse de la consommation de produits carnés ? Les phénomènes sont sans doute conjoints.
Comment pourrait-on expliquer cette baisse de la consommation et ces changements d’habitudes ?
Les différentes campagnes de prévention qui sont nées dans les années 1980, parmi lesquelles le mythique « 1 verre ça va, 3 verres bonjour les dégâts », ont eu un effet et sans doute participé au début de ce déclin. Les lois et les sanctions sur la consommation au volant, aussi. Les réseaux sociaux ont aussi leur rôle, dans la représentation qu’ils donnent de soi et des autres et la conséquence en termes de maîtrise de son image.
La culture de l’alcool a changé, comme on l’observe dans la pop culture : si on se penche la façon dont la consommation d’alcool se traduit dans la musique, aujourd’hui consommer de l’alcool n’est plus aussi branché.
Et puis d’autres tendances de fond jouent aussi un rôle, en particulier la tendance « healthy » : le fait de faire attention à soi, attention à sa santé, souvent portée par des influenceurs, participe aussi à cette baisse de la consommation. On fait attention à soi, on fait attention à ce qu’on mange et on fait attention à ce que l’on boit. On se fait plaisir mais on ne veut pas être dans l’excès là aussi pour maîtriser son corps et son image.
On peut aussi imaginer un phénomène de mimétisme, ou de non-mimétisme d’ailleurs ; nos parents consommaient du vin et quand on est jeune on n’a peut-être pas envie de faire comme ses parents et on veut se construire différemment. Mais sur les jeunes, n’oublions pas, quand même, que très peu de jeunes commencent par le vin quand ils commencent à consommer de l’alcool. Dans la grande majorité, la découverte de l’alcool se fait d’abord par la bière ou les spiritueux. Le goût pour le vin vient plus tard.
Par ailleurs, aujourd’hui, les consommateurs ont davantage de choix, et ce choix répond clairement à une curiosité qui va de pair avec les aspirations des jeunes générations. Le choix entre boire du vin, boire des produits sans alcool, boire des produits avec une faible teneur en alcool, boire un cocktail ou de la bière… Le choix étant plus large, par définition, on va peut-être plus s’orienter de manière systématique sur le vin mais sur d’autres produits également.
Les données montrent que les Français consomment certes moins mais mieux. Si on observe une érosion des parts de marché dans les grandes surfaces, le secteur des cavistes est, lui, en croissance, surtout dans les grandes villes, avec des sélections toujours plus pointues et une approche toujours plus sélective et éclairée. Cela répond aussi à une demande des consommateurs qui ont besoin d’avoir du conseil, qu’on leur explique et qu’on leur donne envie d’acheter certains produits.
Parallèlement, le budget alloué à l’achat d’une bouteille de vin est en augmentation constante en France. Les chiffres du Baromètre SOWINE Dynata 2022 montraient que 56 % des personnes interrogées déclaraient acheter régulièrement des flacons entre 11 et 20 euros alors qu’elles n’étaient que 22 % en 2013. C’est sans doute partiellement lié à l’inflation, mais aussi à des choix qui s’orientent vers ce « moins, mais mieux ».
Les goûts ont également évolué, ils se portent davantage sur des vins avec des profils plus légers, loin de la grande mode des tanins imposants et du bois à tout-va qui sévissait dans les années 1990.
Comment est ce que les acheteurs composent avec cette tendance de fond ?
Ceux qui prennent conscience de cette tendance suggèrent de nouveaux moments de consommation. Soit en développant des formats de type BIB ou en canette avec l’idée d’encourager une consommation en dehors du seul cadre du repas. Soit en proposant des nouveaux modes de consommation, par exemple autour de la mixologie, en mettant en avant tel vin dans une approche cocktail en proposant une recette à son consommateur de déguster le vin mais avec une nouvelle façon d’en profiter.
La question que je pose volontiers est : est-ce que consommer de l’alcool procure encore du plaisir et qu’est-ce qui contribue au plaisir ? indéniablement le monde des vins et spiritueux est un monde convivial, c’est un monde qui propose des produits de qualités, ça parle de savoir-faire, de choses qui intéressent le consommateur final, le tout est d’arriver à convaincre les consommateurs que la consommation de vin, et d’alcool en général, ce n’est pas tout, ou rien. On n’est pas obligé de boire tous les jours, ni de boire plus que de raison, on peut boire moins mais mieux. Certains acteurs du secteur l’ont bien compris, qui proposent à leurs consommateurs une consommation responsable.
Ce qui est certain c’est que le monde du vin a tous les atouts pour continuer à donner envie aux amateurs de boire du vin : ce consommateur qui plébiscite les produits du terroir, qui a redécouvert l’importance de la terre, le goût pour les produits de qualité, qui reconnaît la valeur de la transmission, qui aime qu’on lui raconte de belles histoires, qui s’attache aux marques quand elles arrivent à le fidéliser. Le monde du vin et des spiritueux dispose de nombreux atouts pour le convaincre. Il lui faut en revanche s’adapter à ses attentes, et en particulier à celles des nouvelles générations, valoriser la qualité avant la quantité, innover et faire preuve de créativité… sous la contrainte de ces nouveaux paradigmes !