De l'appréciation culturelle des tabous dans la communication vin
L’univers du vin n’échappe pas aux spécificités culturelles, fort heureusement, cela fait partie de son charme. En cette période de choix de destinations de vacances, un petit aperçu de manières bien différentes d’aborder la communication autour du vin selon que l’on se trouve en France, aux Etats-Unis ou en Espagne…
J’ai été amusée de lire récemment l’information selon laquelle l’état de l’Alabama, aux États-Unis, a interdit la vente du vin Cycles Gladiator pour cause d’étiquette jugée rien de moins que pornographique. L’objet du délit : cette illustration de 1895 du peintre français G. Massias.
Une pudeur toute américaine, qui rappelle le cas de château Mouton-Rothschild, contraint de prévoir une étiquette « vierge »
pour commercialiser son millésime 1993 aux États-Unis, le dessin au
fusain d’une jeune femme nue (Balthus) choisi pour habiller le flacon n’ayant pas reçu l’aval du gouvernement américain.
Dans le cas des vins Cycles Gladiator cependant, la presse américaine a largement relayé l’information, se moquant de la décision de l’organisme de contrôle des boissons alcoolisées de l’Alabama. Une réaction plutôt rassurante (même si côté contraintes législatives et sur d’autres critères, la France n’a rien à envier à personne). Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une nouvelle façon de diaboliser le vin, mais d’une perspective culturelle qui autorise certains univers de communication et en interdit facilement d’autres, fonction du degré d’appréciation délictuel.
A ce titre, et toujours concernant la dimension sexuelle ici dénoncée, faut-il imaginer que non seulement l’iconographie mais aussi la terminologie de certains vins soit à terme également bannie lorsqu’elle est trop évocatrice ? Quid du nouveau wording choisi par certain producteurs anglo-saxons pour désigner leurs vins nouvellement élevés sans passage par les fûts de chêne -crise économique oblige, certains vignerons réduisent leurs coûts de production et n’utilisent plus les
onéreux fûts de chêne neufs ? Les classiques «Unoaked» et «Inox» côtoient en effet maintenant de plus
évocateurs «Virgin», «Naked» et «Nude». Je vous invite par ailleurs à lire l’intéressant billet d’Eric Asimov du NY Times paru la semaine dernière sur le thème « Could the Recession Change the Taste of California Wine« .
Que ce soit pour les pourfendeurs de consommation d’alcool ou pour ceux qui préconisent une consommation responsable, alcool et communication ne font pas bon ménage lorsqu’ils abordent certains thèmes sensibles comme la santé, la conduite, la performance sportive ou intellectuelle, la réussite sociale et sexuelle, et ce avec des degrés d’appréciation et d’application différents selon les pays. La consommation des mineurs est bien évidemment également concernée. Toujours aux États-Unis, on se souvient du projet de lancement d’un vin pour la sortie du film Ratatouille, à l’effigie du petit héros Rémy, qui avait fait cas d’école en 2007 : le vin ne s’était jamais retrouvé sur les tables, sous la pression des associations et du California Wine Institute -voir ma note No Mickey Wine : Disney bat en retraite.
Une décision qui aurait probablement rencontré un écho similaire en France sur un sujet aussi sensible -consommation des mineurs voire, ici, influence du produit sur les enfants. Que penser alors de l’étiquette du vin de l’État de Washington L’Ecole n°41, qui représente la winery sous forme d’un dessin enfantin? Je me souviens d’avoir été réellement surprise à la découverte de cet habillage dans les linéaires lors de ma visite des vignobles d’Oregon et de Washington l’an dernier… lire ma note à ce sujet ici.
Cela dit, la question se pose aussi de savoir où commence l’éducation des jeunes -voire des enfants- sur le sujet « alcool » et à quel moment le fait de communiquer devient influence néfaste. N’y a-t-il pas un sens à parler de vin à des populations réceptives en les éduquant sur le sujet, en leur apprenant la bonne manière de consommer, en partageant avec elles la dimension culturelle du produit, a fortiori dans des pays historiquement producteurs ?
A ce titre, je trouve particulièrement symbolique que ce soit le livre espagnol pour enfants El Estornino Saturnino en la Tierra del Vino qui ait remporté le prix du meilleur livre sur le vin aux Gourmand World Cookbooks Awards organisés récemment… à Paris. Comme quoi, on peut juger convenable que les enfants aient un contact privilégié avec la vigne et le vin dès un jeune âge. Par l’entremise d’un livre qui raconte l’année passée dans la Rioja d’un oiseau blessé recueilli par un viticulteur, les petits Espagnols sont exposés à la réalité viticole de leur pays sans que les autorités concernées ne montent l’affaire en épingle sur l’autel de la santé publique.
Je serais agréablement surprise que le livre vienne à être traduit et édité en France…