Craft beers, craft spirits : et si l’avenir des bières et des spiritueux, c’était l’artisanat ?
Après avoir révolutionné l’univers de la bière, le phénomène du « Craft » touche dorénavant aussi le monde des spiritueux. On parle de « Craft beers » et de « Craft spirits ». Mais que nous racontent ces « bières et spiritueux artisanaux » ?
Dans le monde du vin et des spiritueux, le Craft s’applique à tous les produits qui sont élaborés de manière artisanale, par un homme, une femme ou une (petite) équipe, souvent en quantité limitée et avec des méthodes d’élaboration à l’opposé des grandes productions industrielles. Autre point commun : ces produits racontent une histoire et sont incarnés par une figure emblématique, autant d’attributs qui leur permettent de créer une connivence avec le consommateur. Leurs méthodes d’élaboration permettent à ceux qui les élaborent d’aller chercher des particularités en termes de goûts et d’ingrédients.
L’histoire du Craft remonte à la période de la Prohibition aux États-Unis. À cette époque, la production de boissons alcoolisées est interdite, l’alcool qui est produit l’est de façon dissimulée et, surtout, la production est totalement artisanale. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’aujourd’hui encore, le Craft a un véritable succès aux États-Unis où des linéaires entiers y sont consacrés.
En France comme dans d’autres pays, le succès du Craft vient du monde de la bière, en premier lieu : les bières artisanales recouvrent une catégorie large, qui est passée en quelques années d’un esprit « trapiste » un peu fermé à un esprit plus urbain, ouvert, branché et créatif. Des microbrasseries s’ouvrent un peu partout dans le monde pour le plus grand plaisir des amateurs -véritables geeks pour certains-, qui forment une communauté très ouverte d’esprit qui apprécie l’immense variété des goûts et des saveurs de son produit préféré.
Pour les spiritueux, c’est surtout grâce à la scène cocktail que les Craft spirits se sont démocratisés ces dernières années. Les bartenders, les mixologues, qui ont aujourd’hui pignon sur rue et dont l’expertise est toujours plus pointue, sont autant de « chercheurs d’or » en quête de produits originaux, qui ont une histoire à raconter. Ces produits sont intéressants du point de vue du goût, ils le sont du point de vue de l’originalité, et ils plaisent aux consommateurs car ils offrent une forme d’authenticité très dans l’air du temps.
Gustativement, ces boissons Craft ne sont pas forcément meilleures que les autres, en revanche, elles répondent au besoin du consommateur qui ne se reconnaît plus dans les produits industriels et se détourne des produits qui ont toujours le même goût. La fabrication artisanale suffit à lui donner envie de savoir ce qu’il se cache derrière le produit, par curiosité, par envie. Le produit suit-il un process d’élaboration particulier ? Les ingrédients qui sont à l’origine du produit sont-ils différents, originaux, rares, nouveaux ? Les produits Craft offrent aux consommateurs la possibilité d’être étonné, avec un goût qui sera différent à chaque fois, et parfois de mauvaises surprises… mais cela participe aussi à l’expérience.
Le Craft n’est plus une mode, c’est avant tout une tendance de fond. Il y a peu de chance pour que le consommateur de demain n’ait plus envie de privilégier une consommation locale, le savoir-faire d’un artisan, ou l’importance de respecter l’environnement (partant du présupposé que l’artisan respecte la terre d’où vient le produit qu’il élabore). Le Craft offre aussi au consommateur, la possibilité d’exprimer son propre avis : celui de ne plus subir les diktats de la mode ou de ce que l’industrie, à force de matraquage publicitaire, lui a dit qu’il fallait qu’il consomme, et de choisir par goût, avec ses tripes, par curiosité ou par conviction.
La force des Craft beers ou des Craft spirits réside aussi dans leur capacité à nouer une relation entre le consommateur et le producteur, l’artisan, ce qui est quelque chose d’assez nouveau. Les marques ne se limitent plus à raconter une histoire à lire au dos de la bouteille sur l’étiquette. Elles permettent au consommateur d’entrer en relation avec l’artisan ou le producteur, et les réseaux sociaux facilitent grandement ce contact. Cette relation peur s’apparenter à la relation entre un artiste et un acheteur qui va lui acheter sa création pour deux raisons : l’œuvre lui plaît esthétiquement, mais il achète aussi la relation qu’il va créer avec l’artiste, cette émotion qu’elle lui fait vivre. Dans ce même esprit, le Craft crée une dimension émotionnelle entre le produit et son acheteur.
Que ce soient les bières, les spiritueux, les champagnes ou les vins, les produits qui remporteront du succès demain sont ceux qui garantissent une qualité indéniable, bien sûr, un goût particulier et de l’originalité, aussi, mais surtout, ce sont ceux qui feront vivre une expérience au consommateur, en lui faisant découvrir un nouveau goût, un nouveau procédé d’élaboration, une nouvelle manière de déguster et une histoire originale et mémorisable. En goûtant un produit un peu unique, le consommateur a l’impression de vivre quelque chose d’unique. Depuis quelques années, les marques ont un peu oublié que ce qui intéresse le consommateur, c’est avant tout le produit. Leur stratégie de communication a longtemps été orientée plutôt sur l’art de vivre et la fête, en oubliant l’essentiel : le produit et son élaboration. De ce fait, les marques ont parfois perdu le consommateur qui consommera plus facilement un produit s’il connaît son histoire et sa provenance. Ce recentrage des marques vers le discours produit est indispensable. Il ne faut pas arrêter de parler de la manière dont on consomme le produit mais il ne faut pas non plus le désincarner complètement. Et surtout ne jamais oublier de raconter les petites histoires qui font la grande histoire d’un produit.
Le marché du Craft n’est cependant par réservé aux seuls « petits » producteurs : de plus en plus de grands groupes ont compris les attentes du consommateur sur ces « produits de niches ». De fait, ils vont soit racheter des productions, des marques, qui en élaborent, soit chercher à produire d’eux-mêmes un Craft spirit avec les dimensions artisanale, incarnation, histoire et production unique, série limitée indispensables. Parmi les exemples les plus réussis, on peut citer la success story Monkey 47 : ce gin est élaboré artisanalement en Allemagne, en Forêt Noire, et son nombre 47 fait référence aux plantes récoltées à la main et infusées dans une eau de source locale. Il a été racheté par le groupe Pernod Ricard mais continue de produire le gin avec les mêmes méthodes d’élaboration. Un autre exemple réussi, toujours parmi les grands groupes : le Bourbon Woodford Reserve. Woodford Reserve est un Small batch handcrafted whisky, un whiskey élaboré à la main et en petite quantité. C’est le Craft bourbon de référence aux États-Unis et l’une des marques les plus appréciées des mixologues sur le marché, qui l’utilisent en particulier pour réaliser des cocktails classiques comme le Mint Julep et le Old Fashioned.
Enfin il y a des catégories entières de produits qui répondent à la définition du Craft : ainsi, l’Armagnac. Ce spiritueux offre une multitude de goûts possibles, ce qui permet aux consommateurs une découverte presque infinie du produit, sous toutes ses formes de consommation.
Finalement, les produits Craft offrent bien plus qu’une dégustation. Ils proposent de partager une expérience, de découvrir de nouveaux goûts, d’être transporté dans un autre monde. Les Craft beers et les Craft spirits sont comme un mouvement global de consommation qui nous sort de notre routine.
Article tiré du podcast SOWINE Talks « Craft beers, Craft spirits » par Marie Mascré