Le jour d’après

Confinement et consommation de vin et de spiritueux : nouvelles habitudes, nouveaux comportements

L’épidémie a plongé les entreprises et les consommateurs dans un nouveau contexte. Le confinement bouleverse les comportements et surtout, il en créé de nouveaux. Revue de détail de ce que l’épidémie a changé pour les marques de vins et de spiritueux : quelles ont été les réactions des consommateurs ? Et quelles initiatives a-t-on vu apparaître sur le marché ? Tour d’horizon et décryptage de ce nouveau paysage confiné avec Marie Mascré.

Un secteur qui n’est pas épargné par la crise

Crise sanitaire, fermeture des cafés, hôtels, clubs et restaurants, restriction des déplacements des personnes, annulation des festivals et des rassemblements festifs partout dans le monde : autant de lieux et d’occasions de consommation qui sont touchés, avec un impact mécanique sur le secteur des vins et spiritueux.

Le moment est violent, il va le rester plusieurs mois encore, et ce pour l’ensemble des acteurs. L’heure n’est pas à la fête, l’heure n’est pas à la consommation, l’heure n’est pas à la dépense. Certes les Français continuent à consommer de l’alcool, mais moins et moins cher : on parle d’une baisse des ventes de vin de 35% en volume et 50% en valeur, avec des effets encore plus marqués sur certaines catégories, comme les bulles. Et en amont, ce sont les producteurs qui souffrent aussi, puisque leurs expéditions ont drastiquement baissé aussi bien à l’export qu’en France.

Paradoxalement, on entend aussi un autre discours sur certains marchés et pour certains acteurs : à Londres, le célèbre wine merchant Berry Bros & Rudd a vécu les plus grosses journées de vente en ligne de son histoire lors des premiers jours du confinement, avec 18 000 bouteilles livrées le premier jour et 24.000 bouteilles le deuxième jour. Toujours au Royaume-Uni, le site web du détaillant Majestic a crashé le premier samedi du confinement à cause de la forte demande. Autre exemple en Suisse, où le site drinks.ch a vu une augmentation de 300% de ses commandes en ligne. Aux Etats-Unis, l’application Drizly, qui livre de l’alcool, a vu ses ventes augmenter de 535%. Et certains Etats d’Australie ont mis en place des quotas liés à l’achat d’alcool face à la razzia dans les magasins…

Le jour d'après

Une consommation en baisse (malgré les apéros confinés)

Certains s’inquiéteront d’une consommation excessive en temps de confinement, mais on peut plus simplement imaginer que ces chiffres traduisent en partie la peur d’une rupture d’approvisionnement et une envie de stocker de l’alcool comme on a pu stocker des pâtes. Une étude menée récemment au Royaume-Uni indique que si 20% des personnes interrogées déclarent consommer plus pendant le confinement, un tiers d’entre elles indiquent au contraire avoir profité du confinement pour réduire leur consommation, voire arrêter totalement. Il est intéressant d’ailleurs de constater que ce sont les petits formats qui fonctionnent le mieux : les apéros confinés se font beaucoup à la bière, et la demi-bouteille de champagne ne s’est jamais aussi bien vendue qu’en ce moment !

J'aime mon bistrot

L’émergence de nouvelles initiatives : la solidarité

Parmi les nouveaux comportements observés depuis le début du confinement, il faut noter les initiatives solidaires qui ont vu le jour. La solidarité, c’est bien le maître-mot en cette période extrêmement compliquée. On peut d’abord souligner l’énorme élan de solidarité des producteurs de spiritueux qui ont fourni de l’alcool pour la fabrication de solutions hydroalcooliques. Cela concerne des groupes, comme LVMH ou PERNOD RICARD mais aussi des maisons comme Lejay Lagoute à Dijon.

La solidarité, c’est aussi celle qui voit le jour au sein des équipes, chez les producteurs par exemple. Une solidarité nécessaire, parce que la vigne continue, elle. La main d’œuvre peut venir à manquer du fait des difficultés à se déplacer, et le travail dans les vignes peut être rendu plus compliqué du fait de l’application des règles sanitaires. Un très bel exemple est celui de la Maison Louis Roederer qui a proposé à ses équipes travaillant habituellement dans les bureaux, sur la base du volontariat, de donner un coup de main dans les vignes quand c’était nécessaire. La vigne continue, et il faut s’en occuper. #lavignecontinue, c’est d’ailleurs le hashtag (proposé par Vin & Société) que les vignerons qui partagent leur quotidien sur les réseaux sociaux sont invités à indiquer.

La solidarité s’est aussi traduite par les dons faits par des domaines et maisons aux acteurs locaux de la santés. Parmi eux, la Maison de Champagne Philipponnat, ou Vignobles Gabriel & Co dans le Bordelais, qui ont agi dans ce sens.

Enfin, la solidarité s’est aussi rapidement traduite par des initiatives de soutien au CHR, comme Bar Solidaire et J’aime mon bistrot. Bar Solidaire est une initiative menée le groupe brassicole ABinBev. J’aime mon bistrot est une initiative qui rassemble de grandes entreprises du monde de la boisson, dont Asahi, Brown-Forman, Castel, Coca-Cola, Heineken, Jägermeister, Pernod, Ricard mais aussi des marques collectives comme les Vins d’Alsace, ou encore des domaines comme Château Sainte Roseline en Provence ou Gérard Bertrand dans le sud de la France. Le principe est simple : en allant sur le site de J’aime mon bistro, on peut effectuer une pré-commande en faveur de son bistrot préféré (de 1,50 euros à 50 euros), précommande qui est directement créditée sur le compte du bar, du café, du bistrot choisi. Celui qui effectue la précommande pourra profiter de la commande lorsque ce bistrot aura réouvert. C’est une bonne manière de mobiliser collectivement : si les bars n’existent plus, c’est toute la filière qui souffre. Et c’est aussi une belle façon de maintenir le lien entre les producteurs, les établissements et les consommateurs.

La solidarité, c’est aussi une question de responsabilité : celle de tous les acteurs de la filière qui doivent rester responsables dans leurs prises de décision, et agir en pensant collectif. Se préoccuper de la santé de ses salariés, soutenir ses fournisseurs, échanger avec ses agents pour voir comment faire face à la situation, ne pas annuler catégoriquement ses engagements vis-à-vis de ses partenaires… Cette crise offre une opportunité : celle de penser collectif, de réfléchir et d’agir ensemble et non plus individuellement.

La vigne continue

Il est temps de penser « adaptabilité » et « agilité »

Cette crise implique de se remettre en cause, de ne pas rester paralysé, et d’agir avec agilité pour s’adapter. Pour un producteur de vin, continuer à commercialiser son vin en trouvant de nouveaux relais et de nouveaux consommateurs peut passer par le fait de lancer un site internet de vente en ligne, et d’en faire la promotion sur les réseaux sociaux. Et pourquoi pas, de le faire à plusieurs : à titre d’exemple, le site ddwine.fr a été lancé par plusieurs producteurs de vins du Languedoc qui, sur un seul et même site internet, proposent d’acheter leurs vins avec frais de port offerts à partir de 12 bouteilles. Le site est mis en avant sur les réseaux sociaux, le compte Instagram permet de découvrir chacun des vignerons et la façon dont ils travaillent. C’est un excellent moyen de découvrir des vins faits par des passionnés. C’est simple et efficace.

Simplicité, humilité et relations humaines

Parmi les comportements qui ont changé globalement ces dernières semaines, on peut noter la simplicité dans les relations. On parle beaucoup de retour à l’essentiel, de nouvelles façons de penser ses priorités et de prise de conscience de l’importance d’accorder de l’attention à l’autre. Les acteurs du secteur des vins et des spiritueux ont un rôle à jouer ici aussi. Quand on crée une relation, y compris commerciale, il faut la faire perdurer, il faut la nourrir. En ce moment, les consommateurs, et tous ceux qui achètent du vin en ligne, ont certes envie de recevoir leur vin, ils ont certes envie de savoir qu’il a été conditionné dans de bonnes conditions de sécurité, que la société qui l’expédie tient compte de la situation -il peut d’ailleurs très bien entendre que, de ce fait, les délais soient plus longs : le discours en transparence est tout à fait accepté ici- mais il sera aussi réceptif au contact que cet achat aura créé avec le producteur. Quand on a envie d’aider quelqu’un, on a aussi envie d’avoir de ses nouvelles de temps en temps. Certes le besoin de base d’est celui d’être livré, mais ce qu’on achète quand on commande à un vigneron, c’est plus que du vin : c’est de l’émotion, et en ce moment, l’émotion peut facilement être décuplée. Charge au site, au producteur, au pure player d’accompagner l’envoi d’un contact plus personnalisé que ce qu’il pratiquait jusque là. On n’a jamais autant eu envie d’être proches de ceux avec qui on entre en contact qu’en ces temps d’isolement.

Le jour d'après

De nouvelles opportunités

C’est aussi dans cette capacité à se tourner plus directement vers leurs consommateurs que les marques vont trouver des opportunités demain. La crise sera longue, à date on ne sait pas quand les cafés, les hôtels et les restaurants vont réouvrir ni dans quelles conditions, mais il est primordial que les marques, peu importe leur taille, renforcent leur lien, avec leurs partenaires commerciaux, mais aussi avec leurs consommateurs.

Cela peut passer par de la vente directe – certains l’ont compris depuis longtemps, comme la maison de champagne Boizel qui est historiquement très présente sur la vente directe. Dans les vins et les spiritueux, comme dans d’autres secteurs d’activité, la possibilité qui est donné au consommateur d’acheter son vin en direct ne signifie pas qu’il ne l’achètera plus jamais chez son caviste ou au restaurant par ailleurs, au contraire : avoir le sentiment d’entretenir une relation privilégiée avec une marque, avec un vigneron ou un producteur rend le consommateur encore plus fier de revendiquer cette relation privilégiée, et lui donne encore plus envie d’acheter ce vin là à chaque occasion.

Les réseaux sociaux sont un formidable outil pour développer un lien privilégié entre une marque et ses consommateurs. On a d’autant plus envie de s’intéresser à une marque et à un produit qu’on peut suivre son quotidien et celui de ceux qui le font. C’est cet état d’esprit qui explique aussi le succès des dégustations partagées via les réseaux sociaux, qui se sont multipliées ces dernières semaines. Des Instalives organisés aussi bien par des marques que par des professionnels. Les Instalives du sommelier Manuel Peyrondet sont particulièrement instructifs pour les grands amateurs. Les discussions Krug Connect organisées via Zoom par la Maison Krug permettent aux ambassadeurs Krug dans le monde d’échanger avec les équipes et Olivier Krug.  Et les Instalives des Vins de Provence permettent d’échanger chaque semaine avec des vignerons de Provence via leur compte Instagram. Là aussi on a une vraie opportunité : ces initiatives permettent des rencontres qui n’auraient jamais eu lieu sinon. En tant que marque, c’est une opportunité incroyable d’échanger avec son public. Et en tant que consommateur, les réseaux sociaux et le contexte si particulier donnent une incroyable opportunité d’échanger avec des personnes que vous n’auriez jamais osé imaginer approcher en temps normal.

Le maître-mot : la convivialité

Finalement, c’est la convivialité qui est au cœur de tout cela. Cette convivialité qui nous manque à tous, dont nous sommes privés, et qu’on tente de recréer comme on peut, comme en témoigne le succès des apéros confinés. L’apéro confiné est devenu un rendez-vous, un rituel. Certes, l’apéro, moment très français, est peut-être encore plus attendu en ce moment parce qu’il permet d’entrer, après une journée de travail, dans le temps de la détente : pour ceux qui travaillent de chez eux, c’est un moyen de marquer la frontière entre le travail et la vie personnelle. C’est aussi un acte de résistance, quelque part : on nous prive de nos libertés, mais on ne nous privera pas de cette tradition française et de nos moments de convivialité. Il est intéressant de noter d’ailleurs que l’apéro confiné ne s’éternise jamais : ce n’est pas l’ivresse qui est recherchée, mais la convivialité. Et intéressant de remarquer que les discussions d’apéro confiné portent aussi sur la découverte de ce que boivent les uns les autres. Le vin, la bière, les spiritueux permettent cela : partager, raconter une histoire, créer du lien. Et ça fait du bien.

C’est ça qu’il faut retenir pour demain : garder en tête ces notions de solidarité, de responsabilité, d’agilité et de simplicité dans les relations humaines pour réinventer la relation entre le producteur, le distributeur et le consommateur. Avec la notion de convivialité au cœur de tout cela.

 

NDLR : pour compléter cette lecture avec de l’audio, écoutez le podcast décryptage de Marie Mascré