Clubhouse : la « hype » peut-elle durer ?
« Tu rejoins la Room ? », « Tu veux monter sur scène ? », « N’hésite pas à lever la main ! »… si ces nouvelles expressions ne vous parlent pas, c’est que vous n’êtes probablement pas encore au fait du nouveau réseau social, désormais sur toutes les lèvres : Clubhouse. L’application social audio, qui propose à ses utilisateurs de se retrouver dans des salons virtuels, appelés « rooms », pour écouter des conversations et y participer s’ils en ont envie, existe depuis un peu plus d’un an et a conquis plus de 10 millions d’utilisateurs dans le monde. Mais la « hype » Clubhouse date, en réalité, de la fin d’année 2020. Alors que les débats passionnés à la machine café ou en afterwork étaient limités, Clubhouse a su rassembler pour devenir un nouveau lieu de convivialité virtuel. Un phénomène fait pour durer ? Décryptage avec Marie Mascré.
Un concept malin
La séduisante « exclusivité »
Contrairement à la plupart des autres réseaux sociaux, Clubhouse (CH pour les intimes) a une particularité : son accès se fait uniquement sur invitation. Cette « sélection à l’entrée » donne vite l’impression d’être un privilégié lorsque l’on arrive sur l’application. La limitation à l’accès du réseau est un choix fait par Clubhouse, alors en pleine phase de développement, pour des raisons de sécurité. À l’origine, aucune volonté de devenir aussi exclusif qu’un festival côté, un événement VIP ou encore une soirée mondaine… Et pourtant, le succès a été tel que certains usagers sont allés jusqu’à mettre des invitations en vente sur eBay. Un phénomène qui n’a pas duré : le nombre d’utilisateurs a rapidement augmenté et les invitations se sont démultipliées.
La simplicité d’utilisation
Une fois l’inscription effectuée, le réseau sollicite assez rapidement l’usager sur ses centres d’intérêt, l’objectif étant d’avoir un Clubhouse 100% personnalisé et adapté à ses besoins. Avec pas mal de limites : la liste des centres d’intérêt est loin d’être exhaustive, et ce n’est pas parce que vous avez choisi certains sujets que d’autres ne vont pas vous êtes proposés, qui n’ont rien à voir avec ce que vous aimez. L’usage est cependant très facile : les fonctionnalités restent peu nombreuses et la navigation relativement intuitive. Il suffit de cliquer sur une room (que l’on a au préalable notée dans son agenda, ou sur laquelle on tombe un peu par hasard) pour écouter les participants, de lever la main si l’on souhaite parler, de juste écouter si l’on ne souhaite pas participer, et de partir discrètement en cliquant sur « Leave quietly » pour sortir de la room ni vu ni connu. À noter que jusqu’à aujourd’hui, le réseau était uniquement disponible sur iOs mais qu’il devrait être accessible sur Android à partir du vendredi 21 mai 2021.
Vive l’instantané et l’audio !
Lorsque les réseaux sociaux ont vu le jour, c’est leur caractère instantané et immédiat qui a séduit. Une dimension qui s’est progressivement estompée, notamment avec les filtres, dont la vocation est d’embellir la réalité. Mais depuis quelques mois déjà, la tendance du « no filter » a su reconquérir les utilisateurs. L’instantanéité a été remise au goût du jour avec les lives qui s’enchaînent et défilent, peu importe le réseau, et encore plus depuis le premier confinement. L’utilisateur aime la proximité, pouvoir interagir, influencer… en bref, s’exprimer, tout simplement. À cela, s’ajoute le succès des formats audio, en témoignent les très nombreux podcasts que chacun peut écouter à sa guise. À mi-chemin entre le live et le podcast, Clubhouse a donc su trouver le bon équilibre.
La bienveillance de rigueur
Le modèle Clubhouse est basé uniquement sur la voix, sans image. Un « speaker » crée une Room (un espace de discussion) sur un sujet de son choix et peut faire monter sur scène des participants pour les faire intervenir. Du bien-être au divertissement, de l’art à l’entrepreneuriat : les sujets proposés aspirent à la bienveillance, à un réel état d’esprit « feel good » qui se fait rapidement ressentir. Sur Clubhouse, on passe un bon moment, ce qui n’est plus toujours le cas sur les autres réseaux, souvent devenus des lieux d’échanges polémiques.
En allant plus loin que les autres réseaux sociaux, qui proposent uniquement un partage entre la marque et le consommateur sans échange oral, et plus loin que les podcasts, qui ne font que donner de l’information sortante, Clubhouse a pour lui d’être un vrai lieu de discussion et d’échanges spontanés (malgré la nécessaire inscription des rooms dans son agenda). Encore faut-il proposer des sujets qui intéressent, de pouvoir faire participer des intervenants pertinents, et d’avoir un auditoire qui joue le jeu de l’interactivité.
Une approche autre et un intérêt pour les marques
En donnant la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de poser ses questions aux speakers, la plateforme audio répond à trois attentes clés des consommateurs : la recherche de générosité (donner son temps pour sa communauté), de transparence (parler de ses engagements) et de proximité (partager des valeurs). Un espace parfait pour permettre aux marques de communiquer, via leurs porte-paroles : la plateforme permet aux consommateurs de se connecter à leurs sujets préférés, d’échanger avec des personnalités qu’ils n’auraient jamais eu l’occasion de rencontrer sinon, de se faire des nouvelles relations.
Quelles initiatives dans les vins et spiritueux ?
Comme il se doit, par curiosité et par envie de profiter de ce nouveau format très excitant, mais aussi et avant tout pour partager et échanger, SOWINE a rapidement investi le réseau avec la création du « SOWINE Social Club », qui anime depuis le mois de mars une « SOWINE Room » hebdomadaire. Un mercredi sur deux, entre 12h et 13h, un thème dans l’univers des vins & spiritueux est soumis à discussion avec les participants. Le retour sur expérience est très positif : les rooms sont passionnantes parce qu’elles permettent d’échanger avec des amis du secteur mais également avec des intervenants que nous n’aurions sinon pas forcément rencontrés ; nos invités jouent le jeu et rendent les discussions très riches ; nous sommes ravis de pouvoir partager nos analyses et entendre le retour sur expérience de ceux qui participent. Mais se pose la question de la durabilité du format : le RV doit nécessairement être fixé (et donné) à jour et heure fixe (ce qui permet à chacun de savoir quand venir écouter), mais cela peut aussi être vécu comme une contrainte par la nécessité, de fait, pour les animateurs, les participants comme auditeurs d’être disponible à l’heure dite le jour J. Ce qui était aisé en temps de confinement, alors que l’heure du déjeuner est de toute façon passée devant un écran, et lorsque les déplacements étaient réduits à leur strict minimum ne le sera plus lorsque la vie aura repris son cours et que le rythme d’une vie active classique aura repris ses droits.
Dans le monde des vins et des spiritueux, d’autres initiatives ont vu le jour : Édouard Margain, COO du caviste Lavinia, vient de créer le Club LAVINIA où il organise des Rooms sur les thématiques liées : découvertes de domaines, rencontres de vignerons… Le Ministry of French Food propose également plusieurs Rooms intitulées « J’ai faim ! », la « Food Social Sauce » ou encore « Ça passe mieux avec un coup de rouge » : des espaces de discussion animées et de quoi passer un bon moment à l’heure de l’apéro. A noter qu’il existe peu ou pas d’initiatives à date venant de marques ou domaines : le format impose
Une tendance faite pour durer ?
Le programme de monétisation
Depuis la création de Clubhouse, les fondateurs ont toujours eu en tête de placer les créateurs de contenus au centre de leurs préoccupations. En mars 2021, le réseau social a donc lancé Creator First, son premier programme de monétisation des contenus. Dans la foulée, Clubhouse Payments a vu le jour, qui permet notamment de rémunérer ses créateurs de contenus préférés directement depuis l’application. Aujourd’hui, ce sont déjà plus de 66 000 créateurs qui peuvent recevoir de l’argent de la part de leurs abonnés. À noter que Clubhouse déclare ne tirer aucun bénéfice de ces paiements, les transactions étant directement imputées aux donateurs. Ce fonctionnement peut-il être fiable sur le long terme ? À suivre. Sans oublier la polémique liée à la sécurité et à la confidentialité des données personnelles, avec lesquelles Clubhouse n’est clairement pas en règle.
La modération des contenus
Aujourd’hui, un participant à une Room peut être aussi bien passif qu’actif. Ce qui n’est pas le cas pour les modérateurs qui ont un véritable rôle à jouer au sein des Rooms. Comme tout réseau social qui prend de l’ampleur, la modération va devenir un véritable enjeu, afin de garder l’état d’esprit tant apprécié sur l’application depuis le début. Reddit vient d’ailleurs de lancer une fonctionnalité concurrente avec les « Reddit Talks » qui promettent des outils de modération efficaces pour permettre à ses hôtes d’inviter, de mettre en sourdine, de bloquer le son et de supprimer complètement les utilisateurs indésirables.
Un essoufflement ?
Qui dit nombre d’utilisations en hausse, dit également qu’il va être plus difficile d’y retrouver ses amis, d’avoir l’opportunité de tomber sur des personnalités insolites dans des Rooms « en toute intimité » ou encore d’être ciblés par des contenus qui intéressent réellement l’usager. Par ailleurs, l’un des intérêts des Rooms est de pouvoir y échanger avec des personnalités connues. Se retrouver dans la même room que Mark Zuckerberg ou Jean-Louis Aubert (ce qui m’est arrivé), est à la fois amusant et gratifiant : on a l’impression d’être là où il fallait être à l’instant T. Mais au-delà de la lassitude d’écouter des conversations sans voir ses interlocuteurs, avec le retour à une vie normale, où les moment d’échanges à la machine à café et en terrasses pour l’apéro redeviennent la norme, se pose la question de la capacité et de l’envie de tout un chacun de continuer à fréquenter Clubhouse assidument. Et mécaniquement, si moins de personnes intéressantes participent à des rooms, l’effet d’entrainement n’opère plus. Une perspective à mettre en parallèle avec une forme d’essoufflement d’ores et déjà ressentie sur le réseau social : les Rooms sont de plus en plus nombreuses mais chacune avec de moins en moins de participants.
Clubhouse a remis au centre l’intérêt pour l’audio et la dimension instantanée. On ne compte d’ailleurs plus les fonctionnalités développées à vitesse grand V par les autres réseaux : Twitter a lancé « Spaces », Reddit les « Reddit Talks », Facebook teste l’application questions-réponses « Hotline » et Instagram permet désormais de couper le son et la vidéo dans ses lives. Spotify, Linkedin ou encore Slack seraient également sur le coup, avec des fonctionnalités similaires. Les élèves vont-ils finir par dépasser le maître ? Quoi qu’il en soit, le nouveau réseau social a inspiré même si l’on entend aussi beaucoup parler de « la fin de Clubhouse ». Pour autant, le réseau vient d’annoncer une nouvelle levée de fonds pour développer sa croissance. L’objectif : proposer de nouvelles fonctionnalités, développer de nouveaux algorithmes de recommandations et de nouvelles options de monétisation pour les créateurs. Le réseau social n’a visiblement pas dit son dernier mot…