Quand Bordeaux offre des coups à boire : un bon coup de com ?
Une initiative intéressante du CIVB (Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux) mise en place à Paris tous les mardis du mois de juin, et qui sera renouvelée dès le mois d’octobre prochain : les Apéros Vintage de Bordeaux.
L’idée : faire déguster chaque semaine des vins de Bordeaux à une cible jeune dans des bars « branchés » parisiens. Lieux choisis avec soin -L’Andy Wahloo, Le Progrès, Les Disquaires, Chez Jeannette et Le Plastic-, programmation rock et animations en conséquence. Une opération visant clairement à désacraliser le vin de Bordeaux et à démontrer à la cible « jeunes » qu’elle aussi peut boire ce vin à l’image classique et haut de gamme, y compris en dehors des dîners et autre occasions de consommation traditionnelles.
L’initiative est intéressante en ce qu’elle propose une désacralisation du vin de Bordeaux et s’adresse à une nouvelle cible -travaillée par ailleurs à d’autres niveaux par le CIVB et l’Ecole du Vin. On peut y voir deux objectifs principaux :
- d’une part, faire évoluer auprès des jeunes l’image un peu trop statique et vieillotte des vins de Bordeaux
- d’autre part, recruter de potentiels futurs consommateurs de vins de Bordeaux en leur proposant aujourd’hui des vins « accessibles » dans un environnement sympathique.
Une forme de réponse aux questions : qui a dit qu’il fallait être amateur de vins pour apprécier un verre de Bordeaux ? Qui a dit que le Bordeaux ne se dégustait qu’au cours d’un repas traditionnel ? Qui a dit qu’un bon vin de Bordeaux devait forcément être hors de prix pour être bon ? Et sous-entendue dans l’accroche : « les vins de Bordeaux : des vins « branchés » qui vont vous étonner ! »
A partir de là, l’opération « Apéros Vintage de Bordeaux » est cohérente et plutôt bien menée : des lieux branchés, du vin de Bordeaux -blanc, rosé, rouge et crémant au choix- servi gratuitement et à volonté (à condition d’accéder au bar) de 19h à 21h, une signalétique graphiquement bien pensée et assez visible -affiches, T-shirts et verres en particulier-, une programmation rock et des happenings plus ou moins percutants, le tout dans une ambiance décontractée et festive.
Les différents Apéros Vintage ont indéniablement rencontré le succès en termes de fréquentation -attention à l’image cependant quand,
trop rapidement dans la soirée, il n’y a plus ni verres, ni vin, ni
place. Et ils ont sans aucun doute plu à la cible -c’est toujours agréable de se faire offrir des coups à boire. Je me pose quand même plusieurs questions du point de vue de la stratégie et des objectifs :
- d’une part, le consommateur qui participe à l’événement retient sans doute qu’il a dégusté du vin de Bordeaux, mais ne serait-il pas pertinent qu’il puisse aussi retenir quel vin il a dégusté ?
- D’autre part, les événements ne proposent aucune information sur les vins de Bordeaux en général : on boit, mais si on veut plus d’infos sur le quoi et le qui, on en est pour ses frais -sauf exception Chez Jeannette où deux vignerons faisaient gouter eux-mêmes leurs vins, permettant l’échange sur les bordeaux dégustés. Ne serait-il pas pertinent que l’événement soit aussi l’occasion d’apporter de l’information sur le vignoble et la région de Bordeaux ?
A vouloir trop désacraliser le vin, ou à vouloir recruter une cible qui potentiellement, parce qu’on l’aura captée tôt, restera fidèle à la marque, ne prend-on pas le risque de ternir cette image ou de donner une image inappropriée ? Je me souviens du choix stratégique de la maison de champagne Canard-Duchêne qui, il y a quelques années, avait préempté le territoire de consommation des soirées et autres galas de Grandes Écoles. Une initiative louable, dans l’espoir que les jeunes -et par définition futurs- consommateurs retiennent la marque comme celle qui les aura accompagnés dans leurs « plus belles années ». Problème : quelques années plus tard, lorsque ces cibles deviennent acheteuses de champagne parce qu’amatrices, intégrées socialement et à fort pouvoir d’achat, elles se souviennent de la marque comme d’une marque « cheap » qui a accompagné leurs soirées beuveries et s’orientent vers des marques à valeur perçue plus premium…
Concernant les Apéros Vintage de Bordeaux, le pari me semble réussi du point de vue popularité et plaisir -de bons moments passés, dans une ambiance décontractée et animée -avec une mention spéciale pour la soirée Chez Jeannette, particulièrement réussie à tous points de vue. S’agissant des producteurs de Bordeaux, je trouve cependant dommage que ce succès populaire se fasse, de fait, au détriment de la dégustation et de l’apprentissage : on ne vient pas pour « déguster » et découvrir d’autres vins de Bordeaux, on vient pour boire et passer un moment sympa. Et finalement, peu importe qui organise et offre les coups à boire !