Les boissons fonctionnelles peuvent-elles être source d’inspiration pour le secteur des vins et des spiritueux ?

Thé matcha, Kombucha, collagen drinks, protéines shakes… ces boissons dérivées de la culture healthy envahissent les étalages et les cartes des restaurants branchés partout dans le monde. Comment peut-on expliquer cette nouvelle tendance ? Quel lien peut-on faire avec le secteur des vins et spiritueux ? Un nouvel épisode des SOWINE Talks dédié aux boissons fonctionnelles, c’est leur nom, avec Marie Mascré. 

Comment définit-on une boisson fonctionnelle ?

Une boisson fonctionnelle peut être définie comme « toute boisson non alcoolisée qui procure des bienfaits supplémentaires pour la santé en raison de l’inclusion de tout composant bioactif provenant d’une source végétale, animale, marine ou de microorganisme ».

Pour faire simple, les boissons fonctionnelles sont généralement préparées à base de légumes ou de fruits. On y ajoute un ingrédient qui va être destiné à atteindre une fonction spécifique importante pour la santé ; elles vont être enrichies en minéraux, en vitamines, en acides aminés, parfois même en extraits de plantes ou de fruits.

Elles ont été conçues pour apporter des bénéfices spécifiques au corps. C’est une définition qui est assez large, qui englobe beaucoup de boissons, de types de produits ; des eaux, des sodas, des boissons énergétiques, des boissons chaudes, cela peut être des boissons à base de thé ou alors des boissons fermentées à base de kombucha, des boissons protéinées, des jus de fruits ou des smoothies, des eaux de plantes, des eaux de sources enrichies, des boissons relaxantes, des boissons énergisantes, des poudres à mixer avec de l’eau ou du lait végétal… la liste est longue. Généralement, pour simplifier, on a une combinaison d’eau et de fruits ou de racines, ou d’épices, ou de plantes, en plus des vitamines ou des minéraux.

Pourquoi as-tu choisi de nous parler des boissons fonctionnelles aujourd’hui ?

L’apparition des boissons fonctionnelles ne date pas d’aujourd’hui : Red Bull est arrivé en France en 2008, Coca-Cola avait lancé en France Vitamin Water en 2009, PepsiCo Gatorade en 2010. Innocent a décliné ses smoothies dans une gamme « plus » avec des ingrédients fonctionnels dès 2014, avec 3 produits : Antioxydant, Energise, Defense – avant de la développer en 2020. On peut citer aussi l’exemple du lancement du thé « detox » en 2009 par Kusmi Tea – un phénomène repris et amplifié en 2014 avec le lancement de WanderTea de Caroline Receveur, pour n’en citer que quelques-uns.

Et c’est un phénomène ne va pas s’arrêter : de grands groupes s’y sont mis aussi, Vittel a lancé Vittel+, Danone a lancé HiPro, et Perrier va lancer Maison Perrier dont une gamme Energize est positionnée comme concurrente de Monster / Red Bull.

C’est un type de boissons qui a le vent en poupe et qui répond clairement à des attentes de consommateurs. On a une taille de marché sur ces boissons fonctionnelles qui est estimée à 213 milliards de dollars en 2024 et qui devrait atteindre 306 milliards de dollars d’ici 2029 avec une croissance de plus de 7 % au cours de la période de prévision (2024-2029). Les marchés clés sont l’Asie où l’on cherche à préserver une bonne santé, garder un mode de vie actif, et les États-Unis où prévalent des problèmes d’obésité auxquels les boissons fonctionnelles peuvent répondre.

Cette tendance va de pair avec plusieurs types de comportements alimentaires qui remportent un franc succès, parmi lesquels :

  • Les offres de compléments alimentaires – vendus en pharmacie mais aussi dans les rayons cosmétiques de Sephora ou Monoprix – qui ont des propositions de valeur similaires autour de l’énergie, de la relaxation, de la beauté
  • Le lancement de gummies et de snacks « boostés » : les barres, les céréales, les compotes assorties de minéraux, de vitamines, de protéines
  • Le développement de boissons sans alcool, puisque les boissons fonctionnelles se posent comme alternatives à des moments de consommation « sociaux » : on n’est pas complexé à l’idée de commander une boisson fonctionnelle quand tous les copains autour de soi commandent, lors d’un apéritif, des alcools.

Est-ce qu’on sait les catégoriser ?

Nous les avons catégorisées chez SOWINE afin de donner un peu plus de clarté :

  • Des boissons énergisantes/recovery : leurs marqueurs sont souvent ceux de la caféine naturelles (mais sans café). Leurs codes sont empruntés aux energy drinks classiques, avec la notion de performance, et aux marques de sportswear, avec la notion de futurisme.
  • Des boissons relaxantes qui sont souvent anti-stress avec la présence, par exemple de CBD. Elles offrent une promesse de trip légal, de stimulation, sans le crash du lendemain.
  • Des boissons euphorisantes dont la promesse est d’échapper aux affres du quotidien grâce à la « magie » de plantes ou de champignons. La plupart d’entre elles empruntent à l’univers psychédéliques, que ce soit dans le nom ou dans l’univers graphique et des accroches du type : « choose your mood » ou « get the edge without the hangover”.
  • Des boissons réconfortantes, qui se positionnent autour d’une promesse d’équilibre, d’énergie apaisée, canalisée, avec une forme de rayonnement intérieur, une sensation joyeuse et enveloppante. Elles s’inspirent de l’univers des sodas et des thés glacés avec du fruit et du pep’s enrobé d’un packaging vibrant.
  • Des boissons restauratives à base de plantes sacrées ou indigènes utilisées lors de rituels spirituels ou sociaux pour apaiser, calmer, purifier… Redonner vie en somme. C’est une promesse de pureté avec des doses très concentrées.
  • Des boissons revitalisantes où l’on est plutôt entre l’énergisante et la restaurative, comme un complément alimentaire liquide. Elles offrent un boost santé (immunité, digestion, énergie…) souvent grâce à la présence de probiotiques, de vitamines, de minéraux… et se consomment en journée, sans contexte social, dans un objectif de mieux-être et de productivité. Il n’y a pas d’emprunt à la catégorie « alcool » sur cette catégorie de boissons énergisantes. Elles se présentent plus comme une alternative aux sodas et aux eaux aromatisées.

Qu’est ce qui a changé selon toi ces dernières années ? Pourquoi on assiste à un boom de la consommation de ces boissons aujourd’hui ?

Ça fait écho à l’intérêt des consommateurs pour une alimentation plus saine, plus naturelle, avec moins de transformations, moins de sucre, moins de colorants, moins d’additifs, en particulier après des dérives industrielles et les scandales alimentaires de ces dernières années.

On observe également, dans les grandes tendances de consommation, une responsabilisation des individus pour prendre soin de leur santé, qui est encouragée par les pouvoirs publics si l’on se réfère aux messages sanitaires envoyés par le gouvernement (mention « manger bouger » depuis 2007, publicité du programme national nutrition santé PNNS, campagnes de prévention de cancers…). Et tout cela s’est accélérée avec la crise sanitaire du Covid-19.

On assiste aussi à :

  • Une prise de conscience de l’importance de la santé intestinale – l’intestin est désormais vu, en Occident aussi et plus seulement en Asie, comme un second cerveau – pour prendre soin de sa santé globale.
  • Une meilleure connaissance du lien entre alimentation et bien-être / énergie, notamment via la vulgarisation des informations sur les réseaux sociaux, que ce soit par des experts, des influenceurs, ou des particuliers.
  • Un renouveau d’intérêt pour les super food et les plantes bienfaisantes en réponse à des aliments pauvres en nutriments car souvent transformés ou mal sourcés. On redécouvre certaines plantes dans une logique de « retour aux sources », d’alimentation plus naturelle.
  • Le développement de certaines pratiques sportives (musculation, crossfit, yoga, pilates) qui s’accompagne d’une optimisation de son alimentation, notamment en y ajoutant des smoothies, des boissons ou des barres protéinées, des boissons chaudes anti-inflammatoires ou énergisantes (chai latte, golden latte…).
  • Un essor du « self care » – en réponse à une anxiété et une pression ressentie par une partie de la population, notamment les jeunes.
  • Une accentuation de la prise de conscience des effets négatifs sur la santé d’une consommation excessive d’alcool, qu’ils soient immédiats (anxiété, poids…) mais aussi à long terme, qui amène à des pratiques de modération. Et donc à rechercher des alternatives bénéfiques.
  • C’est peut-être une mode mais on observe aussi un renouveau du psychédélisme – dont certaines boissons fonctionnelles s’inspirent en adoptant des codes graphiques ou un discours proche de cet univers-là.
  • La pratique du microdosing, qui vient des États-Unis, qui est souvent avouée par les fondateurs de start-ups ou des employés de la tech qui déclarent prendre ces substances psychédéliques en petite dose les aide selon eux à être plus calme, moins anxieux, rester longtemps concentré et trouver des idées originales.

Le bouche-à-oreille joue pour beaucoup dans le développement d’un réseau de distribution qui est souvent associé à une communauté spécifique (ce sont des boissons que l’on trouve dans des bars à salades, les restaurants bio, les salles de sport, les spa, les salles de concert…). C’est évidemment clé dans le développement de ces marques de boissons fonctionnelles.

Qu’est-ce que le consommateur cherche avec elles ?

Ces différentes boissons mettent en avant de nombreux bénéfices :

  • L’énergie (via de la caféine, du maté, des vitamines)
  • Le fait de booster le système immunitaire (antioxydants)
  • La concentration et la stimulation via des plantes ou via des champignons
  • Le sommeil et la relaxation via le CBD ou des champignons
  • L’hydratation, la récupération avec les minéraux et le potassium par exemple
  • La digestion via les probiotiques ou les plantes
  • Et puis aussi la dimension détox bien sûr.

Ces boissons ciblent des catégories de consommateurs très spécifiques qu’on pourrait classer en quatre segments d’acheteurs :

  • Les sportifs, qui recherchent une meilleure récupération ou des meilleures performances.
  • Les équilibristes qui sont ceux qui recherchent une protection avec des antioxydants, des anti-inflammatoires ou un boost avec des vitamines et des minéraux et en tout cas en effet global de mieux-être.
  • Les no-sugar qui sont ceux qui recherchent une alternative saine au soda, généralement avec du goût et donc sans sucre.
  • Et puis, un peu étonnamment peut-être, les fêtards qui sont ceux qui vont rechercher de l’énergie et de la relaxation mais sans consommer ni alcool, ni drogue. Il y a donc un positionnement et une cible très précise qui est adepte de ce type de produits

Ce sont des boissons qui apportent une forme de créativité ou d’originalité aux moments de consommation classiques et cela répond aussi à la demande de ces consommateurs et de ces cibles. A titre d’exemple, au petit-déjeuner on va consommer des smoothies protéinés ou des boissons chaudes en alternative aux jus et au café. Au moment de la collation on sera davantage sur du snacking, puisque ces boissons proposent aussi des formats nomades avec des bouteilles, des canettes. N’oublions pas que ces boissons offrent une promesse de concentration et de créativité à tout moment de la journée, elles sont une bonne alternative aux sodas, au café et aux jus de fruits.

Est-ce que le marché des vins et spiritueux s’y met aussi ?

Oui complètement. Absolut a créé un energy drink dont le troisième opus vient de sortir, qui s’appelle « Absolut Nights ». La façon dont le produit est mis en avant c’est « Absolut Night est une marque vibrante et audacieuse de shoot infuencée par les cultures et les saveurs locales afin de créer des expériences sensorielles pour les fêtards qui se réunissent lors de soirées dans le monde entier ». Les troisième Opus est le « Orange Peel », après le « Smoky Piña » qui est une inspiration mexicaine, et le « Nordic Spice » qui est d’influence scandinave. La marque exploite clairement les saveurs appréciées par ces publics-là et avec une origine précise, et les transpose sur la scène mondiale.

On peut citer l’exemple de Desperados, qui a sorti en 2008 une version Desperados Red au guarana et est toujours une tête de proue de la gamme. PepsiCo a lancé son propre functional drink : Driftwell. Et Kirin, la marque de bière japonaise, a lancé au Japon Kirin Plasma sports pour booster l’hydratation et le système immunitaire.

Ces marques, ces groupes et ces acteurs-clé du monde du vin et des spiritueux s’y intéressent aussi car cela leur permet d’aller toucher une cible un peu différente, des consommateurs qui vont parfois certes vont consommer des alcools mais qui veulent parfois aussi avoir des alternatives. Et dans certains contextes, ces produits sont de bonnes alternatives aux boissons alcoolisées : absence de contre-coup, goût frais, fruité, herbacé… tout cela s’aligne avec les tendances de consommation et avec un format permettant aussi de le partager. Finalement cela offre l’opportunité à ces acteurs du monde du vin et des spiritueux d’aller toucher de nouvelles habitudes de consommation et des consommateurs qui vont parfois certes consommer des alcools mais qui veulent aussi des alternatives.

Qu’est-ce que cela nous apprend d’un point de vue marketing ?

Quand on s’intéresse de près à ce monde et au secteur des boissons fonctionnelles, on observe qu’elles ont des codes communs :

  • Elles ont souvent un Pack proche des Ready To Drink ou des sodas, avec une accroche très engageante, et une promesse formulée de façon extrêmement claire, parfois provocatrice, comme si le produit était une « drogue cool ».
  • Elles proposent clairement une identification sociale en promouvant un mode de vie, une aventure commune en dehors des codes normés de la société. Les sites internet de ces marques affichent des témoignages produit, pour rassurer sur le goût et donner un sentiment d’appartenance à une communauté, donnant l’impression au consommateur qu’il est un « early adopter », et cela fonctionne très bien auprès de ces cibles.
  • Elles ont souvent des noms ludiques pour faire comprendre le bénéfice et s’en souvenir avec un packaging souvent très coloré
  • Elles ont un bénéfice fonctionnel (calme, concentration, énergie, équilibre, absence d’anxiété).
  • Elles ont toutes mis en place une « drink stategy » – les boissons fonctionnelles proposent par exemple des cocktails à préparer et des formats Ready to Drink, ou bien elles se déclinent en format « spirits ».
  • Et elles mettent en avant les « no nasties » (pas de colorants artificiels, pas de sucres ajoutés, vegan, peu de calories…) et le fait qu’elles ont été créées par des femmes, en particulier lorsqu’elles communiquent autour des bienfaits pour la santé.

En revanche, il y a aussi d’autres point à souligner, qui sont eux plutôt négatifs :

  • Beaucoup de lancements proposent des produits qui ont des formulations assez proches. Finalement la différenciation sur le produit se fait surtout sur la marque (son univers, sa promesse) alors que sur le produit lui-même on a des propositions relativement similaires.
  • On a souvent un manque d’infos souvent sur les effets ressentis : quels effets ? à quel moment ? pour combien de temps ? quelle dose à respecter ? Les limites sont assez floues et aucune étude n’a été réellement menée par les marques. On reste très souvent dans le subjectif.
  • Il y a aussi une absence de clarté ou de transparence sur les ingrédients. Elles indiquent la liste d’ingrédients avec leurs propriétés miracle mais préciser quel est le sourcing, quelle quantité présente dans la boisson. Avec pour conséquence qu’on ne sait pas quelle dose utiliser pour ressentir les effets, ou quels sont les bons mix ? Or, un peu comme dans l’alimentation, on peut imaginer que certains ingrédients se boostent entre eux et que d’autres se neutralisent. Or le consommateur reste néophyte sur le sujet et toutes les marques ne font pas leur travail de pédagogie, misant juste un effet « cool ».
  • Il y a aussi une absence de preuves / d’expertise véritable – tout se base sur un storytelling qui est pour le coup efficace.
  • Leur distribution est souvent limitée : beaucoup de marques se sont lancées ces dernières années, mais pour beaucoup d’entre elles le seul moyen de les obtenir est de les commander en ligne, ce sont des produits assez confidentiels.
  • Certains produits sont lancés sur le constat d’un manque personnel du fondateur ou de sa volonté d’« empower » les clients, de leur donner un pouvoir, un peu comme une start-up.
  • Il y a une absence de clarté entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, d’un marché à l’autre. Enfin, il n’y a finalement pas de définition claire sur ce type de boisson. En introduction, j’ai présenté la catégorisation que nous en avons fait chez SOWINE, mais beaucoup de boissons entrent dans cette définition-là. Et même la façon de les nommer manque de clarté : on peut les désigner comme des boissons fonctionnelles, on voit aussi passer le terme « mood-enhancing », « boissons nootropiques » ou encore « boissons adaptogènes » -avec une promesse de développement de l’attention, de la concentration, de la réactivité. Et si on va plus loin, on a aussi des boissons dont on observe le développement depuis quelques années et qui n’entrent pas aujourd’hui, pour nous en tout cas, dans cette catégorie des boissons fonctionnelles mais qui malgré tout répondent à certains critères de la définition. Je pense aux Beauty Drinks, ces boissons qui ont la promesse d’améliorer le teint, par exemple avec du glow, des collagène water, des anti-âge d’hydratation. Ce sont des boissons dont la promesse est aussi autour de la vitalité, de la minceur, ou encore du rééquilibrage hormonal. Beaucoup de marques se lancent aujourd’hui sur ce segment, qui est intéressant à observer, même si dans l’exemple des beauty drinks on est plus dans le geste « santé » et moins dans l’alternative aux boissons alcoolisées.

Ces boissons fonctionnelles répondent clairement à des besoins, à des envies, à un mode de vie qui a évolué, pour des consommateurs qui cherchent des alternatives, soit à l’alcool (qu’ils soient des consommateurs qui ne consomment pas du tout d’alcool qui veulent parfois changer de type de boissons). Elles sont de bonnes alternatives dans un contexte social : elle décomplexe le fait d’avoir envie de commander autre chose que de l’alcool, tout en profitant du moment avec ses amis qui, eux, vont commander un verre de vin, une bière ou un cocktail.

Au-delà de la réponse qu’elles offrent à une demande des consommateurs, du point de vue marketing, elles sont une bonne source d’inspiration pour le monde des vins et spiritueux, à la fois pour leurs codes packaging, la façon dont elles cassent les codes, la variété des proposition, le discours inspiré et inspirant, leur capacité à s’adapter à l’air du temps, et pour l’innovation dont elles font preuve.